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Le luthier de Réthymnon

Larnaka minoen. Musée de Réthymnon, Crète.

Larnaka minoen. Musée de Réthymnon, Crète.

En Crète, les foules s’écrasent sur les plages d’Aghios Nikolaos et de Mallia, sur le site de Knosssos, dans les rues de La Canée ou d’Héraklion. En revanche, la petite ville de Réthymnon est nettement plus calme. Le port ainsi que les vestiges vénitiens et ottomans lui donnent un charme particulier.

Le musée archéologique présente d’exceptionnels «larnakes», sortes de sarcophages minoens, parfaitement conservés. Le musée d’art populaire, lui, s’orne de tissages traditionnels à dominante rouge. Voyageant avec un seul petit sac, je rapporte surtout des tissus de mes expéditions. Je me mis donc en quête d’un magasin qui en vende, mais ne trouvai que de banals produits «made in China», n’ayant rien à voir avec ceux du musée. Soudain je tombai en arrêt devant une boutique où pendait au mur ce que je cherchais vainement depuis une heure. De plus, c’était un atelier d’instruments traditionnels. Je pratique, depuis l’enfance, le piano classique en amateur, mais m’intéresse aussi à la musique ethnique.

Luthier à Réthymnon, Crète.

Luthier à Réthymnon, Crète.

L’artisan fabriquait deux instruments typiques de la Crète, le «laouto» (luth), et la «lyra», la plus ancienne, qui remonte à l’époque byzantine et se joue aussi dans les Balkans et en Turquie. A l’instar de tous les instruments populaires de cette famille, elle ne se tient pas comme les violons modernes sous le menton. De plus, les doigts n’appuient pas sur les cordes avec la pulpe, mais avec les ongles. Je discutai un moment de sa fabrication avec le luthier, puis lui demandai où trouver les tissages que je recherchais.

A ma grande joie, il me proposa de me vendre une housse de coussin d’un rouge un peu passé, mais d’un dessin authentique, et chargée d’histoire puisqu’elle avait servi.

Avant de le quitter, je le priai de me jouer un air sur sa lyra dont les sonorités nous ouvrent les portes de l’Orient.

Le marin de Kandanos

Ilot d’Iméri Gramvoussa. Presqu’île de Gramvoussa, Crète.

Ilot d’Iméri Gramvoussa. Presqu’île de Gramvoussa, Crète.

Ce matin-là, après avoir roulé au pas pendant une heure sur une route fort caillouteuse, je fus récompensée par l’extraordinaire panorama qui s’offrait à moi : la presqu’île de Gramvoussa et son lagon turquoise, à l’extrême nord-ouest de la Crète. Puis je visitai tout près de là le port antique de Phalasarna, à présent éloigné de la mer car au VIIe siècle ap. J.-C. un violent séisme fit basculer la Crète de sept mètres d’ouest en est. En fin d’après-midi, je me mis en quête de chapelles byzantines dans la région de Kandanos. Les indications du guide étant très vagues et la nuit tombant, je pris une chambre dans ce village qui fut rasé par les Allemands en 1943.

Exemple d’église crétoise à deux nefs à Etia, entre Sitia et Xérokambos, Crète

Exemple d’église crétoise à deux nefs à Etia…

Site de Phalassarna. Côte nord-ouest de la Crète.

Site de Phalassarna. Côte nord-ouest de la Crète.

Le lendemain, je repris mes recherches sur des routes minuscules, mais en vain. Heureusement, je finis par tomber sur un homme entre deux âges qui se proposa pour me guider à pied au milieu des bois et des oliveraies. Je n’aurais jamais rien trouvé sans lui, d’autant plus que, cherchant des coupoles, j’étais passée à côté de chapelles qui extérieurement ressemblaient plutôt à des granges. En effet, en Crète, les églises sont le plus souvent rectangulaires et possèdent une, deux ou trois nefs avec des toits à deux pans. Cet homme était un marin en congé. Il me fit découvrir les fresques de quatre chapelles dont l’une était flanquée d’un petit cimetière où il me montra la tombe d’un de ses oncles. Ayant remarqué qu’un certain nombre de défunts étaient morts assez jeunes, je m’en étonnai devant lui, cette île étant chez nous célèbre pour ses centenaires grâce au fameux régime crétois.

Il me révéla d’un air sombre que c’était la faute de la base américaine de Souda, à l’entrée de la baie de La Canée. D’après lui, on y faisait des expériences chimiques qui avaient augmenté le nombre de cancers. Je me gardai de le contredire, malgré le peu de vraisemblance de cette hypothèse ; la réaction universelle aux malheurs humains n’est-elle pas de trouver des boucs émissaires ?

L’aubergiste de Frangokastello

Les «Portes de fer». Gorges de Samaria. «Thermopyles» de la Crète : pendant toute leur occupation du pays, les Turcs ne purent jamais les franchir.

Les «Portes de fer». Gorges de Samaria. «Thermopyles» de la Crète : pendant toute leur occupation du pays, les Turcs ne purent jamais les franchir.

Encore courbaturée par ma descente des gorges de Samaria, certes époustouflante, mais qui dure six heures sur les cailloux, je fis halte dans une auberge isolée dans un beau jardin, à côté de la forteresse de Frangokastello.

Forteresse vénitienne de Frangokastello, Crète. XIV° siècle.

Forteresse vénitienne de Frangokastello, Crète. XIV° siècle.

Une fois de plus j’étais la seule cliente et bavardais longuement avec la patronne. Elle avait quitté un emploi de bureau à Athènes pour reprendre cet hôtel dont les propriétaires partaient en retraite. Son seul compagnon, un solide pitbull, faisant mentir la réputation de sa race, se montra très amical avec moi : ces chiens ne sont dangereux que si leurs maîtres les dressent à devenir des fauves. Sa maîtresse et lui répondaient aux noms, exotiques pour le pays, de «Betty» et «Fidèle». Pour les touristes curieux, elle avait disposé sur une table plusieurs livres concernant la région et un prospectus, en grec, détaillant l’histoire de la forteresse. Celle-ci fut édifiée par les Vénitiens qui se mettaient ainsi à l’abri des pirates. Occupée ensuite par les Turcs pour se protéger des Sfakiotes, les habitants de la région, aussi redoutables que ceux du Magne, elle fut à plusieurs reprises le théâtre de sanglants combats où les Grecs, en nombre très inférieur, furent finalement écrasés malgré leur résistance héroïque. Reconstruite par les Turcs, elle est intacte à l’extérieur mais l’intérieur ne conserve que les fantômes des assiégés qui avaient, lors d’un siège, empilé les cadavres de leurs chevaux pour bloquer la porte.

Le lendemain je ne pus payer que la chambre, la localité ne disposant pas de distributeur ni l’hôtel de paiement par carte bleue, ce qui est souvent le cas dans les endroits moins fréquentés. Comme je m’étais proposée, la veille, pour traduire le prospectus en français, la propriétaire me dit en souriant que je la réglerais en lui envoyant ma traduction. Ce que je fis à mon retour en ajoutant un billet de 20€.

Je ne saurai jamais si ma lettre lui est parvenue mais, sinon, j’espère m’être acquittée de ma dette par ce petit texte.

 

L’agneau pascal, les serres et le tourisme de masse ou « La Crète n’a plus rien d’ignoré ! »

Eglise Ayios Nikolaos de La Canée

Eglise Ayios Nikolaos à La Canée. Sans doute la seule église au monde à posséder à la fois un campanile et un minaret, vestiges des occupations successives de l’île, vénitienne puis turque.

Mosquée des Janissaires à La Canée

Mosquée des Janissaires, construite dès la prise de La Canée par les Turcs en 1645. À l’arrière plan, les Montagnes Blanches enneigées. Elles culminent à 2450 m.

En octobre 2011 j’avais visité en Crète des lieux encore préservés.

À Pâques 2019 j’ai trouvé insupportables les effets du tourisme de masse. Réthymnon

avait perdu son âme, Héraklion et La Canée grouillaient de monde : j’ose à peine imaginer les hordes qui doivent y déferler l’été ! À La Canée, plus de la moitié des habitations de la vieille ville sont des chambres à louer ou des hôtels de luxe. Toutes les ruelles près du port sont envahies de boutiques à souvenirs « made in China », et on a du mal à circuler entre les tables des tavernes offrant de la moussaka surgelée, voire des hamburgers. Le tout baignant dans un charabia d’anglais « globish », et depuis peu, de russe. Le français, en passe de devenir une deuxième langue dans notre propre pays, est souvent en queue de peloton des langues et ne s’affiche presque jamais dans les musées.

 

D’un côté, la Grèce, en crise depuis huit ans, a besoin du tourisme, la seule « industrie » en expansion. De l’autre, les traditions ne sont plus qu’une image figée dans les musées, ou récupérées pour un folklore à bon marché. Un exemple : l’agneau pascal à la broche. Tout le long du port de la Canée, le dimanche de

Pâques, j’ai pu voir tourner d’innombrables petites bêtes embrochées, prêtes à rassasier des Occidentaux en surpoids. La coutume y est ici déconnectée de son contexte religieux, alors qu’il est très présent en Grèce où Pâques est la plus grande fête religieuse et l’occasion de grandes agapes familiales. Là où j’ai retrouvé l’authenticité c’est en traversant ce jour-là la presqu’île d’Akrotiri, où dans tous les villages, les broches tournaient au milieu des familles réunies sur fond de musique traditionnelle. Lesquelles familles avaient suivi religieusement, si j’ose dire, les cérémonies de l’Épitaphe* le Vendredi Saint, et de la Résurrection le lendemain.

En descendant vers la côte sud, j’espérais arpenter des lieux moins envahis qu’au nord. En effet, j’ai retrouvé intact le site de Frangokastello, mais son aubergiste n’était plus là (voir texte précédent). En revanche j’ai eu un choc en découvrant qu’une grande partie de la plaine de la Messara, ainsi que les moindres espaces plats séparant les belles gorges qui entaillent cette côte, étaient défigurés par d’énormes serres en plastique. En huit ans elles avaient décuplé, pour suivre la croissance du tourisme, car il faut bien fournir concombres et tomates pour l’emblématique « Horiatiki salata », la salade paysanne.Sans compter qu’en plus on a eu l’idée saugrenue de cultiver des bananes !

 

MohlosJ’ai heureusement terminé mon séjour dans le ravissant petit port de Mohlos, à l’ouest de Sitia, face à son îlot orné d’un site minoen.