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Les maisons anti-pirates d’Ikaria

Chapelle Théosképasti («Couverte par Dieu») près du village de Pigi. Nord d’Ikaria.

Chapelle Théosképasti («Couverte par Dieu») près du village de Pigi. Nord d’Ikaria.

Contrairement aux autres archipels, celui du N.E. de l’Egée ne porte pas de nom spécifique. Il partage une même proximité des côtes turques avec le Dodécanèse, lequel d’ailleurs n’a pris ce nom qu’en 1908 lorsque ses îles s’unirent contre l’occupation ottomane.

Au sud, il commence avec l’île d’Ikaria, connue presque uniquement des Grecs et qui fut un lieu de déportation des communistes après la Guerre civile (1944-49). Elle est si montagneuse qu’on n’a pu y trouver, pour construire un petit aérodrome, qu’une seule bande de terre étroite et assez courte à l’entrée du cap Drapanos, à la pointe N.E. de l’île. Quand mon avion s’en approcha, le vent soufflait à force 7 et le pilote eut bien du mal à maintenir son appareil dans l’axe de la piste.

Maison anti-pirates à Langada. Ouest d’Ikaria.

Maison anti-pirates à Langada. Ouest d’Ikaria.

Je commençai par visiter la côte sud-est, avec un vent de tempête toute la journée. Accessible uniquement par mer jusqu’à une date récente, le petit port de Magaritis, à demi submergé par les vagues, m’a particulièrement séduite. Le lendemain j’entrepris de visiter la partie ouest de l’île, sauvage et inaccessible, sillonnée seulement par des pistes caillouteuses : j’avais entendu parler de maisons anti-pirates que je voulais absolument découvrir. Il n’y avait plus de vent mais du brouillard. Or ces maisons sont disséminées dans la nature et même les habitants des environs ont du mal à les localiser. Sur mon petit guide il était écrit que je pourrais en trouver à Langada, le plus vieux village de l’île. Pas âme qui vive ! Après avoir marché un moment au hasard, je finis par tomber sur un chevrier en train d’arracher les tiques d’une de ses bêtes. Et miracle, juste derrière lui, une maison anti-pirate s’offrait à moi. Il me l’ouvrit et m’en montra une autre qui avait servi de prison.

Les pirates, aussi vieux que la marine, ont été un terrible fléau en Méditerranée depuis l’Antiquité, puisque le grand Pompée fut chargé de mener une expédition pour les exterminer. Ils ont particulièrement sévi dans les nombreuse îles grecques qui leur servaient de refuge. Ikaria a été leur victime à plusieurs époques, l’îlot voisin de Phourni constituant une base de raids idéale. Les habitants cessaient alors de vivre sur les côtes et se réfugiaient dans les montagnes où la géologie les protégeait : on trouve souvent de grands blocs de pierre plus ou moins plats formant un toit naturel qu’il suffisait de fermer par un ou deux murs. Visibles seulement de tout près, ils ont permis aux Ikariotes de disparaître littéralement pendant tout le XVIIe siècle, au point que l’île semblait inhabitée. Quand par hasard des pirates parvenaient jusqu’à ces refuges, les habitants, prévenus par un système de guetteurs, avaient disparu. Les brigands ne trouvaient chez ces gens très pauvres, que quelques hardes ou objets sans valeur et en étaient pour leurs frais !

L’histoire de ce peuple, aussi frugal qu’astucieux, illustre une règle universelle : le meilleur rempart contre la convoitise, c’est de ne rien posséder.

Le pêcheur de Chios

 

Arcade génoise en pierre de Thymiana, près du chef-lieu de l’île de Chios.

Arcade génoise en pierre de Thymiana, près du chef-lieu de l’île de Chios.

Façade «xysta» («grattée»), typique du village de Pyrgos. Ile de Chios.

Façade «xysta» («grattée»), typique du village de Pyrgos. Ile de Chios.

111_webLorsque je dis à Spiro, mon cousin grec par alliance, que j’allais passer par Chios, il m’apprit que sa grand-mère y était née et avait quitté cette île à l’âge de seize ans pour épouser un grec d’Alexandrie beaucoup plus âgé. C’était un mariage arrangé, coutume qui a perduré en Grèce jusqu’au milieu du vingtième siècle.

Chios est encore aujourd’hui une île assez riche, grâce à une spécificité locale : la culture du lentisque, arbuste dont on prélève la résine, le «mastic», déjà très apprécié sous l’Empire ottoman, et qui sert à fabriquer des friandises et des produits de beauté ou de phytothérapie. Je n’avais que le nom d’un lointain cousin de Spiro et celui de son village, Thymiana : je fis une entrée remarquée au «kafénio», fréquenté seulement par les hommes dans les lieux à l’écart du tourisme. Bien sûr, je trouvai aussitôt quelqu’un qui connaissait le cousin en question et qui m’y conduisit volontiers. Je fus accueillie chaleureusement par la fille d’Andréas, ma connaissance du grec et ma parenté, même par alliance, faisant de moi un membre de la famille à part entière. Cette jeune femme enseignait le français et l’anglais ; célibataire, elle vivait avec son père, veuf depuis peu. Celui-ci nous rejoignit bientôt et la conversation porta sur l’histoire de leur famille. Puis Andréas s’éclipsa pour se faire beau et m’emmena au restaurant. Impossible de refuser, hospitalité grecque oblige.

Nous étions les seuls clients dans la petite auberge. Le grand-père triait le mastic à la table voisine pendant que je dégustais de savoureux rougets. Andréas, pêcheur à la retraite, arrondissait ses fins de mois en faisant un peu de maçonnerie. Nous avons parlé de la crise : dans les îles, comme à la campagne, elle est moins rude que dans les grandes villes. Presque tout le monde est propriétaire de sa maison et avec une petite barque, un modeste champ, un poulailler et quelques brebis pour la féta, on peut s’en sortir.

Les Grecs ont sauté à pieds joints dans la société de consommation, avec l’entrée dans la Communauté européenne, en 81. Des milliers d’entre eux, contraints et forcés par le chômage ou la chute brutale de leurs revenus, retournent à présent au village pour y emprunter malgré eux le chemin de la décroissance.

Ile de Lesbos

Les naïves occidentales qui vont à Lesbos pour visiter la maison natale de Sappho seront déçues : elle n’existe pas ! En revanche, on peut y voir une forêt pétrifiée, des maisons-tours, une exceptionnelle demeure du XVIIIe et les magnifiques mosaïques de la maison de Ménandre au musée de Mytilène.

Poney-éboueur pour les ruelles étroites à Molyvos. Lesbos. Cette race locale de poney est aussi utilisée pour faire des courses à l’amble dans les fêtes de villages.

Poney-éboueur pour les ruelles étroites à Molyvos. Lesbos. Cette race locale de poney est aussi utilisée pour faire des courses à l’amble dans les fêtes de villages.

Peinture murale de la demeure Vareltzidaina, fin du XVIIIème. Village de Pétra. Lesbos.

Peinture murale de la demeure Vareltzidaina, fin du XVIIIème. Village de Pétra. Lesbos.

Maison-tour typique de Lesbos à Thermi.

Maison-tour typique de Lesbos à Thermi.

Sappho de Mytilène, la Lesbienne belge et les réfugiés

 

Presque ignorée des touristes, surtout de la grande majorité des Français qui ne jurent que par les Cyclades, la belle et grande île de Lesbos est connue dans le monde entier depuis l’Antiquité à cause de son nom. En effet c’est la terre natale de Sappho, poétesse grecque du 7°siècle av. J.C., que Platon considérait comme la dixième Muse.

Son nom et celui de l’île sont associés depuis toujours à l’homosexualité féminine, au point d’avoir donné les noms communs « saphisme » et « lesbienne ». Pourtant, les habitants de Lesbos trouvent cela révoltant. Je relève dans le guide local que « Sappho avait créé une école de poésie et de musique pour les jeunes filles de la bonne société. Malheureusement sa réputation a été salie par le stigmate lié à ses prétendues relations amoureuses avec certaines de ses élèves, hypothèse rejetée par la recherche actuelle. »

J’ai lu par ailleurs qu’une association de Lesbiens (les habitants de Lesbos cette fois) avaient intenté un procès aux associations américaines « pour usurpation du terme “ lesbienne “, qui jette l’opprobre sur les femmes de cette île ». Ils ont, paraît-il, perdu leur procès.
Inversement, les habitants de Skala Eressou (village natal de Sappho), s’en félicitent. Quand des lesbiennes d’Europe du nord et des USA ont organisé en l’an 2000 un festival annuel en septembre, les autochtones ont commencé par prendre un air dégoûté. Puis, en vertu de l’adage du bon empereur Vespasien « L’argent n’a pas d’odeur » (le sexe non plus en l’occurence), ils ont fini par y trouver leur compte. On ne sait si ce festival a entraîné des conversions parmi les Grecques de l’île, ce qui les rendrait ainsi doublement lesbiennes !

 

Pont Byzantin 3 arches

Dans le village de Philia, avec son rare petit pont byzantin à trois arches et aux entrées en courbe, j’ai croisé une Grecque qui vit en Belgique depuis 56 ans et ne revient à Lesbos qu’à la belle saison. Elle s’est trop habituée à la ville et ses enfants vivent à Bruxelles. Elle était ravie de communiquer en français, bien qu’elle le maîtrise difficilement.

Quand certains me disaient « Tu irais vivre six mois en Grèce, tu parlerais grec couramment », je leur expliquais que cela fait partie des mythes et qu’il m’a fallu des années de travail acharné pour y arriver.

 

Depuis mon premier voyage à Lesbos, il y a eu, en 2015, un afflux massif de réfugiés, dû à la proximité des côtes turques : il a nettement diminué mais n’a pas cessé. Ils se trouvent coincés là un certain temps avant d’être renvoyés dans leur pays ou d’obtenir le droit d’asile. Leur situation dramatique a eu pour conséquence une chute de 65 % du tourisme, qui commençait depuis peu à se développer dans cette île.

Ironie de l’histoire, presque un siècle plus tôt, en 1923, Mustapha Kémal, qui succédait à l’Empire Ottoman, obtenait, au traité de Lausanne, l’expulsion des Grecs d’Asie Mineure, ceux du moins qui n’avaient pas été massacrés comme les Arméniens. Les musulmans de Grèce, trois fois moins nombreux, durent, quant à eux, aller s’installer en Turquie. Ni les uns, ni les autres ne connaissaient leur « mère patrie », mais ils en avaient la langue et la religion.

Les Grecs d’Aïvalik, en face de Lesbos, y ont fondé un village portant le nom de leur ville natale « Kydoniès » ( « cognassiers »), d’où ils pouvaient contempler leur patrie perdue. Ce fut d’autant plus dur pour ces Grecs que la côte de la mer Egée, devenue turque, était habitée depuis la plus haute antiquité par leurs ancêtres. On l’appelait « Ionie », on disait qu’Homère y était né, une brillante civilisation y avait fleuri, avec pour emblèmes, entre autres le mathématicien Thalès de Milet, et le temple d’Artémis à Ephèse, une des sept merveilles du monde.

À la même époque, les Turcs étaient un petit peuple nomade d’Asie centrale, sans écriture, qui adopterait plus tard l’alphabet arabe avec l’Islam, avant de conquérir peu à peu un immense empire vers l’ouest, colonisant au passage les Grecs, les Arméniens et les Kurdes qui y vivaient depuis la nuit des temps. Ils en occupent toujours une partie, y ayant ajouté, en 1974, Chypre du nord.

Les Occidentaux ont dû décoloniser au 20° siècle, mais les Orientaux, Arabes et Turcs, s’en sont dispensés !


Ile de Lemnos

Vue de Myrinas, chef-lieu de l’île de Lemnos, depuis la citadelle construite au XIIe siècle sur des bases antiques par l’empereur byzantin Andronic Comnène, avec des rajouts vénitiens, génois et turcs.

Vue de Myrinas, chef-lieu de l’île de Lemnos, depuis la citadelle construite au XIIe siècle sur des bases antiques par l’empereur byzantin Andronic Comnène, avec des rajouts vénitiens, génois et turcs.

Rochers volcaniques de Pharakla. Lemnos.

Rochers volcaniques de Pharakla. Lemnos.

Chapelle de la Vierge Kakaviotissa à l’est de Myrinas.

Chapelle de la Vierge Kakaviotissa à l’est de Myrinas.


La villageoise de Thassos

Kouros. Musée de Liménas, chef-lieu de l’île de Thassos. Statue de l’époque archaïque (VIIe - VIe siècle av. J.-C.), influencée par l’Egypte : posture raide, pied gauche en avant, et sourire énigmatique.

Kouros. Musée de Liménas, chef-lieu de l’île de Thassos.
Statue de l’époque archaïque (VIIe – VIe siècle av. J.-C.), influencée par l’Egypte : posture raide, pied gauche en avant, et sourire énigmatique.

Théâtre antique à Liménas. Ile de Thassos.

Théâtre antique à Liménas. Ile de Thassos.

C’était l’époque où je ne louais pas systématiquement de voiture mais prenais parfois les transports en commun. Sur l’île de Thassos, après avoir visité le site archéologique de Liménas, la ville principale, avec son joli théâtre surplombant le port, sa citadelle antique et son musée qui abrite un gigantesque kouros kriophore (portant un bélier), j’avais pris l’autocar pour faire le tour de l’île dans la journée.

 

A mi-trajet, une vieille dame — elle devait avoir mon âge, mais la vie rurale use davantage — vint s’asseoir à côté de moi. Les touristes étant très rares en cette saison, elle me demanda d’où je venais. S’ensuivit l’inévitable série de questions sur ma situation familiale et professionnelle.

Carrières de marbre antiques - Aliki - Ile de Thassos - Macédoine

Carrières de marbre antiques – Aliki – Ile de Thassos – Macédoine

Lorsque je lui dis mon ancien métier, je lus sur son visage la déférence que j’ai cessé de voir sur celui de mes compatriotes, pour qui critiquer les profs est un sport national. Quand je lui appris que j’étais divorcée et sans enfants, son regard s’emplit de compassion, car pour une femme grecque ce sort est une malédiction. Elle me demanda si j’avais été battue par mon mari (en grec on dit «manger du bois»! ), sans doute le seul motif valable à ses yeux pour divorcer. Je répondis par la négative car je ne pouvais lui donner les vraies raisons, certains sujets étant encore tabous, et encore moins lui révéler que j’étais heureuse ainsi, la notion de liberté individuelle étant incompréhensible dans une société où la famille est à la base de tout. Elle me résuma sa vie : fille aînée d’une famille pauvre, elle était restée célibataire pour élever ses frères et sœurs après la mort de sa mère.

Elle descendit au village de Sotiras qu’elle n’avait jamais quitté. A mon retour, je m’absorbai dans mes réflexions sur l’injustice du sort, et la chance que j’avais eue de naître dans une famille et un pays où une femme pouvait échapper à son destin.


Ile de Samothrace

Sanctuaire des Grands Dieux où fut trouvée la célèbre statue de la Victoire.

Sanctuaire des Grands Dieux où fut trouvée la célèbre statue de la Victoire.

Danseuse du culte à mystères. Musée de Palaiopoli à Samothrace.

Danseuse du culte à mystères. Musée de Palaiopoli à Samothrace.